samedi 10 mai 2008

De pleins(s) et de vide

PLEIN :

Plongez dans un espace plutôt clos, peut-être classieux ou crasseux, salle des fêtes de village ou bar raffiné, quelques bonshommes aux doigts habiles. Qu'ils s'agitent sur un lourd clavier noir et blanc, le nacre d'un bandonéon, ou les nobles cordes d'un petit ou grand de la famille violon importe finalement peu, ils construisent ensemble le filet duquel on ne s'échappe. Bien vite débarquerons par l'oreille alléchée, ceux dont les pieds, les jambes, le corps trépignent de les accompagner.





Nous voilà Milonga. Chaussez vos talon mesdames, chassez-les regards hombres. Un œil pour un œil, les voilà partis. Face à face, on s'empoigne avec classe, et c'est glissé, chassé, croisé ... Monsieur guide, délicatement de sa main droite à même le dos, il décide l'itinéraire. La danseuse elle, vit la rencontre, se lance emmener dans l'univers défini par son cavalier. A elle, les joies de l'improvisation, inventant à coup de ronds de jambes et autres fermes libertés une réaction à l'éphémère rencontre. Lui choisit la route, elle la trace.

Chaque danse est comme une histoire, de rencontres, avec l'autre, et avec Musique. Elle est omniprésente, et plus encore. Le bandonéon est le fil conducteur, fils prodigue de notre musette, il est grave, se lamente noblement, et dans lui aussi. L'homme qui lui sert de joueur est happé, emporté par la foule de notes qu'il délivre, et bat au pied sur le poids des accoups violents qui rendrait, ouï de loin, l'espadrille instrument. Et donc ces cris du grand soufflet, et les pieds tonnerres et fracas, suivis par les violons, le piano aussi, écoute ! Sur la piste en contre bas, les vies font plus que se croiser, elles s'emmèlent de longues minutes, elles construisent ensemble, elles se toisent du jeu de jambe, se prouvant de quoi chacun est capable. Le danseur se révèle. Le fier, reste droit, conduit, maitrise, écoute avec poigne, comme cherchant à prouver au jury exigeant qu'il est un bon amant. Lui, grand brun, la laisse prendre les devants, à sa guise, sans carcan, dans certains jets de lumière, il semblerait soumis. Le vieux couple a ses réflexes parfaitement orchestrés, se titillant pour feigner un flegme dont on n'est pas dupes. Les corps dialoguent sur une chorégraphie initiale maitrisée par tous, ils échangent, la revisitent, en hommage, ou revival.



Rares sont les situations où l'on se retrouve si près d'un potentiel inconnu (au tango, j'ajoute aussi mon ascensceur de 4m3, très fort lui aussi pour inviter au rapprochement d'avec le voisin jusqu'alors jamais même croisé), à voir déjà son reflet scintillant le blanc de ses yeux, à se laisser aller dans sa nuque comme avec un vieil amant.

La musique stoppe, soudainement. On se remercie. C'est fini souvent. On part revivre en accéléré dans des bras plus carrés, plus serrés, plus enjoués. Le tango est une mine d'histoires, tout s'analyse, s'interprète, se fait porteur d'un sens dont le simple observateur ignare à l'abri sur sa chaise (à décliner au féminin dans le cas présent) ne peut pas faire semblant de comprendre intégralement. Je voudrais dire beaucoup plus, comme je voudrais pouvoir écrire les vies cachées derrière chaque fenêtre allumée de l'immeuble à côté, en face ou plus loin.

L'un comme l'autre ne sont pas possible, et à trop les raconter j'oublierai de les vivres ...


...de vivre d'ailleurs. C'est la saison des despedidas, récoltons les par centaines, comme les feuilles de notre automne en mai. Mon cocon se détricote, mes racines se déplantent, duuur qu'elle dirait (Ju, pas les racines). Ma madre, puis Marc déjà ont retraversé. Ale, les suit demain, argentin à l'assault de Paris et d'un conte amoureux qu'il veut construire histoire. Amaia, ma coloc, celle qui quand elle danse heureuse s'improvise chérubin balancé, balançant, épanouie au point d'en briller, aussi. Elle va descendre de ses talons, pour poser les pieds sur terres chaussant pompes de rando et bagpack, et s'en aller glisser d'autres parquets frontaliers. A Stefi, la Patagonie, enfin. D'autres encore. Une fuite massive, en mode banc de poissons qui d'un coup s'éparpillent sans signal préalable.

VIDE ?


Moi je ne voulais qu'une chose c'était m'effondrer sur mon lit et pleurer ma réserve d'eau salée. Et fumer pour me noyer dans le nuage. Et dormir pour être plus vite demain, qui sera un autre jour pour sur. J'étais toute prête à me laisser aller, j'ai perdu mes connexions technologiques au monde et s'enterrer pour une soirée devient ainsi aisé. Mais j'ai croisé le Diego, sa gouffa peu conventionnelle, une petite discussion comme pas eu depuis longtemps. Et à la place j'ai voulu écrire, cuisiner, agir. Je pleurerais et je dormirais, mais je m'en vais surtout profiter de l'ici-haut, maintenant, et pour deux mois encore.





12 commentaires:

david santos a dit…

Bonsoir.
Bonne postage.
Merci

Sylvette Heurtel a dit…

Des coups de blues comme celui-ci on en redemande. Sois heureuse.Tu madre.

Maëlle a dit…

encore et toujours trés agréable à lire miss...les coups de blues, c'est bien connu, permettent de mieux repartir.. mais en général c'est que le lendemain alors bravo pour ta belle motivation du soir... :))

Julie d'Ailleurs a dit…

Merci !
Ma motiv du soir, c'est la culpa de mon coloc, je me serait bien effondrée toute seule ein !
Mais ahora c'est fou, tanto animo que je me lève le matin.

Steph a dit…

Duuuuuuuurrrrrrrr!!!!!!! (from Ushuaia)

Camille a dit…

magnifique description de la milonga... seule une personne ayant dansé peut dire des choses pareilles. Je vivais presque la danse en lisant ce message. Merci pour ce bon moment ! Tu as un vrai talent pour décrire les sentiments et sensations...
Quant au coup de blues et aux despedidas, courage ! J'ai vécu ça quasi continuellement au canada... moins ici, tant mieux !
Un au revoir permet de nouvelles rencontres... éternel recommencement qui bien que difficile, a ses charmes aussi. Ciao, y que te vayas bien !

Julie d'Ailleurs a dit…

Merci Camille, beaucoup.
Bien qu'au risque de te décevoir, je n'ai encore jamais dansé, seulement juste observé, admiré.
Cuidate, un besito

Steph a dit…

comment ca t'as jamais danse?!!! Et nos vadrouilages tanguestes nocturnes, tu les oublies donc?
Prend grade, je garde les preuves, ranges par-ci, parla.

Julie d'Ailleurs a dit…

Ouki, j'avoue j'ai dansé dans la rue, avec Stef comme cavalière et les bruits de ville la nuit comme musique.
Oui ça compte peut-être, mais ça reste loin du tango non?

Camille a dit…

tu n'as jamais dansé le tango ??? même pas une fois, même pas un cours, même pas vaguement ?
Dans ce cas, tu as une capacité d'observation incroyable, et une superbe capacité à retranscrire tout ça à l'écrit. Vraiment ton texte sur le tango est magnifique...

besos !

Marc a dit…

C'est l'acquisition de la capacité d'observateur non-participant.
Merci Sciences-Po.

Steph a dit…

MUAJAJAJAJAJA, tres tres bon -marc j'avoue.